
Masim Ferkal
Agradecemos a Masim Ferkal su gentileza al cedernos esta entrevista aparecida originalmente en Tamazgha para su publicación en este número. En la misma, el arqueólogo Jorge Onrubia Pintado desgrana, entre otras cuestiones, algunas de las razones que motivan la organización del Simposio «Amaziges. Historia, memoria e identidad», del cual es Director Científico y que tendrá lugar en la ciudad de Gáldar del 11 al 13 de junio de 2025.
Tamazgha.fr : Vous êtes le directeur scientifique d’un Symposium sur la question amazighe qui se tiendra à Gáldar (Gran Canaria, Îles Canaries) du 11 au 13 juin 2025. Pourriez-vous nous dire quels sont les organisateurs de cet évènement exceptionnel et quelles sont leurs motivations ?
Jorge Onrubia Pintado : Sur le plan institutionnel, c’est le Gouvernement canarien qui a joué, à travers sa Direction générale de la Culture et du Patrimoine culturel, le rôle principal dans l’organisation de ce symposium aussi bien au niveau technique que financier. Parmi les collaborateurs institutionnels il y a aussi la Ville Autonome de Melilla, le Cabildo (Gouvernement insulaire) de la Grande Canarie et, enfin, la Municipalité de Gáldar.
La motivation principale de cette rencontre est d’offrir à la citoyenneté canarienne la possibilité d’approcher le passé, le présent et l’avenir des amazighophones. Et ce à partir de l’expérience de la ville de Melilla, où tamazight est devenue une langue espagnole et européenne à part entière, et des îles Canaries où la revendication de la composante amazighe de leur identité historique se fait sentir de plus en plus.
Pourquoi un symposium sur Imazighen aux Canaries et pourquoi spécifiquement sur l’histoire, la mémoire et l’identité ?
Justement parce que, aux Canaries, il existe une conscience de plus en plus présente sur l’importance de cette composante liminaire de la mémoire insulaire, de ses souvenirs et de ses oublis. Comme vous le savez, les îles ont été peuplées par des groupes amazighophones qui, un millénaire et demi après avoir colonisé l’ensemble de l’archipel, ont succombé à la violence de la conquête espagnole. Et il est de notre responsabilité de fournir à la société canarienne les outils pour connaître et valoriser la vraie nature de ce présent absent, de ces absences amazighes du présent qui se matérialisent dans un riche patrimoine archéologique ou dans une toponymie où foisonnent les noms d’origine amazighe.
Les processus de construction identitaire sont toujours relationnels et dynamiques et font donc inévitablement appel à l’altérité et au temps, à « nous » et aux « autres » dans une chronologie non linéaire, tortueuse et plissée. Et pour paradoxal que cela puisse paraître, la quête obsessive des racines qui caractérise les temps incertains dans lesquels nous vivons nous pousse souvent à décider ce que nous sommes par le truchement de ce que nous avons été ou, pour mieux dire, de ce que nous croyons avoir été. Devant ce constat, il faut sans doute réfléchir sur les rapports d’altérité / identité de ce que nous appelons le passé, qui d’ailleurs n’existe que dans le présent, pour être capables de bâtir des identités diverses, complexes et non excluantes destinées à surmonter le dualisme naturaliste de la modernité qui a fini par scinder la nature et la culture, la « physicalité » et l’intériorité pour employer des mots empruntés à Philippe Descola. Car si nous voulons vraiment sauver la Terre, cette petite planète perdue au milieu du multivers qui constitue, tout compte fait, notre seul refuge, il est urgent d’intégrer, d’une bonne fois pour toutes, les collectifs d’humains et des non-humains qui l’habitent.
Et pourquoi Gáldar ?
Parce que Gáldar est un haut-lieu du passé préhispanique, amazigh, des îles Canaries. Nous savons que, au moins dans la succession de situations coloniales qui s’enchaînent entre le deuxième quart du XIVe siècle et la fin de la conquête de l’île (1483), Gáldar, ou Agaldar pour employer la notation originelle de ce toponyme manifestement amazigh, est le siège des lignages aristocratiques autochtones qui monopolisent le pouvoir politique et religieux de l’ensemble de l’île. C’est pour cela que dans les sources textuelles coloniales, cet important habitat indigène est présenté comme une sorte de capitale insulaire. Avec la fin de la conquête et comme preuve de gratitude pour leur collaboration à la soumission de leur propre île, un contingent très important de Canario-Amazighs a été autorisé par les Rois Catholiques à rester à Gáldar. D’ici ils sont partis, toujours comme forces auxiliaires des Castillans, à la conquête de La Palma et Tenerife où une bonne partie se sont définitivement installés.
Les vestiges archéologiques de ce passé canario-amazigh sont très présents à Gáldar. À commencer par le Musée et parc archéologique Cueva Pintada qui sera, précisément, le siège de ce symposium. Il faut dire que les habitants de cette charmante petite ville du nord de la Grande Canarie sont très conscients et très fiers de ce passé et de ce patrimoine. Ils méritaient bien d’avoir le privilège d’accueillir ce symposium. Franchement, et mis à part mes très profonds et solides liens personnels avec Gáldar où j’ai commencé en 1982 le programme de recherches archéologiques que je dirige toujours, je ne pouvais pas imaginer un endroit plus approprié pour sa tenue.
Qui peut participer à ce symposium et comment ?
Le symposium est ouvert à toutes les personnes intéressées sans distinction. Et ce en modalité présentielle (limitée à 65 places) ou distancielle, l’inscription préalable étant tout de même obligatoire dans les deux cas de figure. Elle peut se faire sur le site internet du symposium disponible en version bilingue espagnol / français : https://simposioamaziges.com. Je vous rappelle que toutes les séances seront aussi enregistrées et accessibles par la suite sur la chaîne YouTube de la Direction générale de la Culture et du Patrimoine culturel du Gouvernement canarien.
En tant que directeur scientifique de ce symposium, quelle sont vos attentes ?
Mon ambition serait essentiellement que cette activité atteigne la plus large diffusion et que les participants, qu’ils soient physiquement présents ou qu’ils suivent les séances en ligne, soient très nombreux. Autrement, tout l’effort personnel et financier que nous avons déployé jusqu’à présent et tout le travail qui nous attend dans les jours à venir auraient été en vain.
À partir de là, tout ce que j’espère est que ce symposium puisse contribuer à assouvir la soif des connaissances des participants tout en servant à éveiller de nouvelles curiosités et d’autres ambitions de savoir. Et tout cela dans un esprit d’autonomie intellectuelle, de liberté culturelle, de pensée critique qui se manifeste, dans ce monde de plus en plus obscurantiste et antiréaliste, comme une conquête sociale irremplaçable et authentiquement émancipatrice qu’il faut défendre corps et âmes.